Sujet: Re:Moi, Daly Okou Djipa, qu'est ce que je pense de tout ça ?
Posté le: Juil 03, 13 1:06 pm (GMT 0)
Dans certaines
circonstances, le silence peut être synonyme de lâcheté et de complicité avec
liniquité
Lorsque Caïn tua Abel et que Dieu
lui demanda où était son frère, il répondit quil ne savait pas et quil nétait
pas le gardien de son frère (Genèse 4, 25). Quils le confessent ou non, les
disciples de Caïn sont ceux qui refusent de veiller sur leurs frères, ceux qui
se montrent indifférents à la détresse ou à la souffrance dautrui. Dautres
personnes estiment au contraire que nous sommes responsables les uns des autres,
quon ne peut se revendiquer homme et ne pas connaître la honte en face dune
misère qui ne semblait pas dépendre de soi[1]. Leur raisonnement est le
suivant: si nous nous disons frères ou compagnons dhumanité, la misère (matérielle,
morale ou spirituelle) de lautre devrait nous interpeller et nous amener à sortir
de notre silence.
Cest ce que fit Voltaire
(1694-1778), figure emblématique de la France des Lumières, en défendant Calas
accusé à tort davoirassassiné
son fils Marc-Antoine pour lempêcher de faire comme son frère aîné qui était
passé du protestantisme au catholicisme et davoir maquillé le meurtre en
suicide. En intervenant dans laffaire Calas, lauteur de Candide nétait pas
mû par des considérations pécuniaires pas plus quil nétait en quête de
reconnaissance. Sa renommée était déjà bien établie par une immense uvre
littéraire. Tout ce quil voulait, cétait un nouveau procès car il était
convaincu que Calas et les siens étaient victimes de lintolérance et de larbitraire.
La suite est connue: un autre procès eut lieu en 1764, Jean Calas fut
réhabilité lannée suivante et Voltaire put retourner à Paris en avril 1778 après
vingt ans dexil.
Victor Hugo (1802-1885) ne
défendit pas un individu mais les pauvres en général. En 1862, en effet, il
leur consacra un grand roman, Les
Misérables, qui raconte lémouvante histoire de Jean Valjean. Sa phrase Le peuple a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au
vice, selon le sexe est restée dans tous les esprits. Mais Hugo
est aussi connu et apprécié pour avoir fustigé le coup dÉtat du 2 décembre 1851 et son auteur Napoléon III dans un pamphlet intitulé Napoléon
le petit. Probablement
pour le remercier davoir plaidé la cause du people et davoir pris des risques
pour ce peuple, environ deux millions de
personnes et 2 000 délégations se déplacèrent, le 31 mai 1885, pour lui rendre un dernier hommage.
Émile Zola (1840-1902), mort 17
ans après V. Hugo, sintéressait comme ce dernier aux conditions de vie des
pauvres et disait navoir quune
passion, celle de la lumière, au nom de lhumanité qui a tant souffert et qui a
droit au bonheur. Cest pour cette raison quil refusa de se murer dans
le silence pendant laffaire Dreyfus. Se taire lorsquun innocent est condamné alors
que les vrais coupables circulent librement lui semblait insupportable. Pour
mémoire, Alfred Dreyfus, capitaine français dorigine juive, était considéré
comme un traître à la nation.On lui reprochait davoir livré des documents secrets à lattaché
militaire allemand en poste à Paris. Pour Zola, le véritable traître était le commandant Walsin Esterházy. Ses articles dans la presse française et sa lettre au président de la République Félix
Faure publiée dans LAurore du 13 janvier 1898 sous le titre Jaccuse furent
décisifs. Le 23
février 1898, au cours du procès, il reviendra à la charge en disant: Tout
semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir
militaire, les journaux à grand tirage, lopinion publique quils ont
empoisonnée. Et je nai pour moi que lidée, un idéal de vérité et de justice.
Et je suis bien tranquille, je vaincrai. Je nai pas voulu que mon pays restât
dans le mensonge et dans linjustice. On peut me frapper ici. Un jour, la
France me remerciera davoir aidé à sauver son honneur. Si lengagement de Zola contribua incontestablement
à la révision du procès età la réhabilitation de Dreyfus en 1906, il
nen reste pas moins vrai que lauteur de Germinal laissa quelques plumes dans
ce combat contre linjustice et le mensonge. Il dut en effet composer avec la
haine et les menaces de mort. Ses livres et son portrait furent publiquement incendiés.
Même son nom fut retiré de la Légion dhonneur.
Pourquoi ce détour par trois monuments de la
littérature française? Dabord, pour souligner que la lutte pour la justice et
la vérité nest pas un combat perdu davance. Cette lutte peut être longue et
dure; elle peut parfois nous éloigner momentanément de la patrie et des nôtres (cest
le cas de Voltaire et de Zola qui fut contraint de passer 11 mois à Londres) mais
elle finit par porter du fruit. Je ne sais pas quand cela se fera mais je suis
certain que les usurpateurs et voleurs que la France a installés à la tête de
notre pays seront dégagés et rendront des comptes au peuple ivoirien pour la
simple raison que le faux et linjustice ne peuvent prospérer éternellement. En
revenant sur lengagement politique des 3 écrivains français, je voudrais,
dautre part, nuancer lidée selon laquelle il vaut mieux garder le silence
pour éviter davoir des ennuis. Non, devant un frère qui souffre ou pleure, la
seule attitude qui vaille nest pas de se taire ou de rester dans son petit
coin mais de se solidariser avec lui, de lassister. La Côte dIvoire divisée
en deux en septembre 2002 par une rébellion montée de toutes pièces par la
France pour obliger Laurent Gbagbo à se prosterner devant elle et à la laisser
piller les richesses du pays, ne bénéficia pas de cette assistance. Plusieurs
pays de la CEDEAO refusèrent de soutenir ouvertement et concrètement le président
démocratiquement élu par les Ivoiriens en octobre 2000. Peut-être ces pays se
disaient-ils quils nétaient pas concernés par cette tragédie et que leurs
pays étaient à labri de ce genre de choses. La CEDEAO prit fait et cause pour
les rebelles, leur déroulant le tapis rouge, nexigeant jamais que ces assassins
et buveurs de sang déposent les armes, les soutenant jusquà la réalisation de
leur funeste objectif: remplacer Laurent Gbagbo par Dramane Ouattara, lhomme
qui leur envoyait chaque mois 25 millions de F. CFA quand ils se préparaient à
attaquer le pays au nez et à la barbe de Compaoré et donne chaque jour
limpression de travailler plus pour la France et les étrangers de la CEDEAO
que pour les Ivoiriens. Mais quelques mois suffirent pour que chacun de ces
pays découvre, avec la partition du Mali, que ce qui arriva à la Côte dIvoire
de Laurent Gbagbo peut arriver à tout le monde.
Ce que je voudrais dire en un mot, cest que le
silence nest pas toujours recommendable quoiquil soit utile à certains
moments. Face à certaines situations, on a en effet le devoir de parler (haut
et fort au besoin) pour que soient entendus les cris des victimes. Parler non
pas parce quon a envie de se faire remarquer, ni parce quon désire nuire à X
ou à Y, ni parce quon cherche à faire fortune sur le dos des personnes
affligées mais simplement parce quon considère que tout homme nous est un
frère. Pour le dire autrement, se taire toujours me paraît à la fois malsain et
indécent. Je fais partie de ceux qui soutiennent que le silence ne mérite pas
que des éloges et que, dans certaines circonstances, il peut être synonyme de
lâcheté et de complicité avec liniquité, que ne rien dire devant linjustice
et le mensonge est dangereux et destructeur non seulement pour les autres mais
pour soi-même. À titre dillustration, je ne citerai ici que le joli poème écrit
en 1942 par le pasteur allemand Martin Niemöller, fondateur de La Ligue durgence
des pasteurs qui protesta contre la persécution des Juifs et des pasteurs
refusant de se soumettre aux Nazis. Voici le fameux poème: Quand ils sont
venus chercher les communistes, je nai rien dit, je nétais pas communiste;
quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je nai rien dit, je nétais
pas syndicaliste; quand ils sont venus chercher les Juifs, je nai rien dit, je
nétais pas Juif; quand ils sont venus chercher les catholiques, je nai rien
dit, je nétais pas catholique. Et puis, ils sont venus me chercher et il ne
restait plus personne pour protester. Le malheur qui frappe aujourdhui autrui
peut me frapper demain si je ne dis rien ou ne fais rien pour le tirer
daffaire: telle est la leçon qui nous est donnée par Martin Niemöller. Cette
leçon, les Maliens, qui croient à tort avec les Burkinabè et Guinéens que la Côte
dIvoire est aussi leur propriété privée parce quils auraient contribué à son
développement, lavaient oubliée. Ils lavaient oubliée parce quils étaient
obnubilés par lidée, la fausse idée, que le malheur des Ivoiriens ferait leur
bonheur. En effet, le Mali mais aussi le Sénégal de Wade et dautres pays de la
sous-région, poussés par une diabolique jalousie, simaginaient que la crise
ivoirienne les rendrait enfin riches, prospères et puissants. Doù le soutien
quils nhésitèrent pas à apporter à une rebellion sanguinaire et immorale. Mais,
comme tout se paie ici-bas et que ça narrive pas quaux autres, ils vivent à
présent dans un pays divisé avec deux armées et des populations obligées
dabandonner tout ce quelles ont patiemment construit et de fuir des rebelles
voleurs et violeurs.
Le Je nai rien dit de Niemöller fut oublié par le
Vatican qui, en plus de se faire représenter le 21 mai 2011 par Mgr George
Antonisamy à linvestiture de Dramane Ouattara, ne dénonça jamais lembargo sur
les médicaments, la fermeture des banques, lincarcération sans jugement des
proches de Laurent Gbagbo, les tueries de Duékoué et de Nahibly. Il est vrai
que personne ne peut chanter un Te Deum après le cambriolage de la basilique Notre
Dame de la Paix le 24 juin 2013, prouesse jamais réalisée sous les précédents
régimes. Mais peut-on sinterdire de penser quil est peut-être bon que le
Vatican soit victime, lui aussi, de cette barbarie pour quil comprenne enfin
que ce qui se passe en Côte dIvoire depuis le 11 avril 2011 est trop grave
pour quil continue de garder le silence? Certains pourraient objecter que les
prêtres étrangers qui ont la charge de cette basilique ne devraient pas se
mêler des affaires de la Côte dIvoire. Je leur répondrais que largument ne
tient point la route car lévêque de Doba (Tchad), la ville du pétrole
tchadien, bien que de nationalité italienne, na pas manqué de critiquer, dans
son homélie du 30 septembre 2012, la gestion des ressources du pétrole. Pour Mgr Russo, la population locale ne profitait pas assez
des revenus de lor
noir. Lévêque italien ne comprenait pas que Doba nait pas délectricité
24h/24h alors que le Tchad produit du pétrole depuis 9 ans. Le gouvernement
tchadien estima que Mgr Michel
Russo prêchait
la division et quil devait donc quitter le pays. Mgr Russo fut effectivement expulsé
le 21 octobre 2012 mais il revint dans son diocèse le 27 décembre. Et, parmi
les évêques de Centrafrique ayant écrit au président Michel Djotodia le 20 juin
2013 pour condamner les exactions de la coalition Seleka, ne trouve-t-on pas 5
étrangers (les évêques dAlindao, de Bouar, Bangassou, Kaga-Bandoro et
MBaïki)? Ces deux exemples attestent que lévangile ne dit nulle part que
seuls les prêtres et évêques dun pays devraient sengager dans la lute pour la
justice et le respect des droits de lhomme.LÉglise ne peut ni ne doit prendre en main la
bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne
peut ni ne doit se mettre à la place de lÉtat. Mais elle ne peut ni ne doit
non plus rester à lécart dans la lutte pour la justice. Elle doit sinsérer en
elle par la voie de largumentation rationnelle et elle doit réveiller les
forces spirituelles sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des
renoncements, ne peut saffirmer ni se developper[2]. Cette parole de Benoît XVI sadresse aux fils et filles de lÉglise
partout dans le monde. Les prêtres
et religieux (ses) travaillant en Côte dIvoire devraient sefforcer de la mettre
en pratique au lieu de continuer à rester muets. Sinon, ils donneraient raison
à ceux qui les soupçonnent dêtre les inspirateurs des articles partisans du
quotidien catholique La Croix et de
rouler pour ceux qui, après avoir coupé le pays en deux, ont usé de mensonges pour
amener lONU et la France à tuer les Ivoiriens afin que Dramane Ouattara puisse
occuper le fauteuil présidentiel.
En prenant position clairement et publiquement, Mgr
Russo et les 5 évêques expatriés de Centrafrique ne voulaient pas renverser Idriss
Déby et Djotodia. Leur objectif était simplement dincarner un tant soit peu la
parole du Christ: Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres
(Jn 8, 32). Lequel Christ invite tout chrétien à;">craindre non pas ceux qui tuent le corps et après
cela ne peuvent rien faire de plus mais celui qui, après avoir tué, a le
pouvoir denvoyer dans la géhenne (Lc 12, 4-5).
Je ne sais pas ce que craignent nos frères qui militent dans le
Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) sils
arrêtaient de soutenir aveuglément un pouvoir qui sest donné
pour mission de déposséder les populations de lOuest au profit des Burkinabè,
de brader la nationalité ivoirienne, demprisonner ou dassassiner quiconque
est en désaccord avec Dramane Ouattara, de protéger et promouvoir ses propres
criminels, de faire du faux (par exemple, la vidéo des violences du Kenya
versée au dossier de lAccusation) pour garder injustement Laurent Gbagbo à la
Haye, de ne donner du travail quaux gens du Nord, etc. Craignent-ils de perdre
leurs postes et les avantages les accompagnant? Mais que valent nos petits
intérêts égoïstes à côté de lavenir dune nation? Le pays va mal, il se meurt
et les dirigeants du Front populaire ivoirien ne sont pas les seuls à le dire.
Lazare Yéboué, Kouadio Konan Bertin, Daniel Aka Ahizi, Mel Théodore, Boni
Claverie, Dona Fologo, Jean-Louis Billon et tant dautres nous alertent sur les
dangers que le rattrapage ethnique, la chasse aux sorcières et la mainmise de
la France sur léconomie font courir chaque jour à la Côte dIvoire. Ils nous
mettent en garde contre le fait de penser que ça narrive quaux autres et ils
ont raison car, quand les mercenaires venus du Burkina et du Mali pillaient les
maisons, violant et emportant tout sur leur passage, ce nest pas les seuls
partisans de Laurent Gbagbo qui firent les frais de ce gangstérisme moyenâgeux.
Tout le monde fut visité et dépouillé. Ils nont pas tort de considérer que la Commission électorale indépendante, dans sa
composition actuelle, est un non-sens dans la mesure où le MPIGO, le MJP et le MPCI
qui nexistent plus continuent den faire partie. Ils ne sont pas xénophobes en
nous rappelant que les étrangers nont pas le droit de faire chez nous
ce quils ne nous permettraient pas de faire chez eux. Je suis daccord avec
eux quand ils conseillent que louverture à lextérieur ne doit pas nous faire
croire naïvement que la France veut notre bien car,entre colonisateur et colonisé, il ny a de place que
pour la corvée, lintimidation, la pression, la police, limpôt, le vol, le
viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la
suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies[3].
Le pape François, qui ne cesse de nous surprendre agréablement, a dit
une chose que je trouve belle et juste lors de laudience générale du 26 juin
2013: Dans lÉglise, personne nest secondaire, personne nest le plus
important, nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu, même le pape. Vous
pourriez dire: Écoutez, sainteté, vous nêtes pas notre égal. Si, je suis
comme chacun de vous, nous sommes tous égaux, nous sommes frères! Nous formons et nous construisons tous
lÉglise
Nous devons tous apporter notre vie à lÉglise, apporter notre cur,
notre amour, nos pensées, notre travail, tous ensemble. Cest en frère désireux
dapporter sa petite pierre à lédification de lÉglise qui est en Côte
dIvoire que je voudrais revenir sur lhomélie délivrée par le frère Siméon
Ahouanan à la messe de clôture de la 96ème Assemblée
plénière de la Conférence des évêques catholiques de Côte dIvoire, le 26 mai
2013. Larchevêque de Bouaké disait entre
autres ceci: Aucune société ne peut se construire sur la base de lexclusion,
sur la logique de la vengeance, sur des désirs daffrontement, sur des réflexes
de repli communautaire ou politique. Aucune communauté ne peut survivre dans la
violence aveugle dont personne ne sort indemne dailleurs. Rien ne nous dit
que ces propos portent sur la société ivoirienne. Cette façon de parler
sappelle noyer le poisson, botter en touche, se débiner, parler sans sengager
ou refuser de prendre ses responsabilités, tant le discours est vague et trop général.
Il est si général quil pourrait sappliquer à la Gambie, au Portugal, au
Mexique ou au Vietnam. Ahouanan a manqué de courage pour dire de quoi le pays
souffre exactement et interpeller qui de droit. Lui qui avait demandé à juste
titre à Robert Guei de respecter sa promesse de balayer la maison et de
retourner à Kabacouma, lui qui ne se privait pas de tirer à boulets rouges sur
le régime de Gbagbo, est devenu subitement muet comme si tout allait bien à
Bouaké et ailleurs dans le pays. Les Camerounais disent que la bouche qui mange
ne parle pas. Celle dAhouanan serait-elle tellement pleine quil aurait du mal
à parler sans peur? Quand il rugissait sous Guei et Gbagbo, était-il en mission
pour le RHDP? La seule chose que je trouve recevable dans sa
prédication du jour, cest davoir invité les femmes à sortir. Sortir en masse et dans toutes les villes comme en Égypte:
cest lunique chose à faire aujourdhui si nous voulons libérer notre pays, si
nous voulons mettre fin aux souffrances et aux humiliations des Ivoiriens. Mais
jajouterais ceci: ce ne sont pas seulement les femmes qui doivent sortir. Les
hommes de Dieu, eux aussi, doivent descendre dans la rue pour chasser ce régime
totalitaire et impopulaire.
Jean-Claude
DJEREKE
Chercheur au Cerclecad, Ottawa (Canada)